mehryl levisse
textes français
la distinction faite art par lorenzo d'aldobrando
mehry levisse, où l'ornement subjectivité par marion zilo
focus - mehryl levise par valérie toubas & daniel guionnet
par-delà les artifices par florian gaité
la collection monstrueuse ou la domestication des anomalies par florian gaité
de(s) nouvelles (de) pénélope par mickael roy
esthétique du corps neutre, plasticité critique par florian gaité
mehryl levisse, l'homme objet par jean-paul gavard-perret
la complexité du "je" d'enfant par florian gaité
l'éternité n'est pas unes abstraction par pierre giquel
ceci n'est pas de la photographie par clare mary puyfoulhoux
l'art du rituel par audrey koulinsky
english texts
mehryl levisse, where the subjective ornament by marion zilo
mehryl levisse on making art that makes you think by nikki bostwick
the space for a certain energy : mehryl levisse interviewed by adam lehrer
mehryl levisse / interview by sara catalàn
agreed roles : fetish and theater in the masks of mehryl levisse by roman kalinovski
mehryl levisse's staged dreamworlds invoke family tradition and bdsm by alice newell-hanson
mehryl levisse's intimate world at catinca tabacaru gallery by seung hee kim
french artist mehryl levisse brings bdsm fantasy to the bowery by chris thomas
birds of a feather fly together by marie salomé peyronnel
the obscurity of the human form by nahia samaha
textes
la distinction faite art
revue alea jacta est #25
janvier - février 2021
texte de lorenzo d'aldobrando
"Bâtard"... "Consanguin"... "Poufiasse"... Un florilège aussi dégradant témoigne assurément d'un très mauvais esprit. Mauvais mais cinglant, tant il est vrai que les injures populaires ratent rarement leur cible. Ces titres déjà forts d'une tradition dans nombre de cours d'école, tout rappel à l'ordre esthétique ou moral serait dérisoire. Compilés, enluminés par le motif et typographiés de la façon la plus neutre qui soit, ils ont sous les traits de l'artiste la magie de l'orfèvre.
"Ce qu'il y a d'enivrant dans le mauvais goût c'est le plaisir aristocratique de déplaire" disait Charles Baudelaire. Mehryl Levisse est de cette aristocratie-là. "Mauvais esprit" est un modèle de transmission, une langue vivante dont l'attention à l'autre tient au respect de sa parole. Aussi crue et politiquement incorrecte qu'elle soit, cette langue exprime une reconnaissance de l'autre, une politesse au sens premier. Une langue sans verbe ni propositions mais qui hiérarchise et distingue, une culture.
Celle de Mehryl Levisse appartient au monde, de Charleville-Mézières à Casablanca et de New-York à Paris. Des livres aux performances et des costumes à la tapisserie apprise dans la tradition à Aubusson, il n'a rien renié du goût populaire pour l'art. Ne rien oublier du quotidien de l'enfance parfois âpre et rude et dans un même regard s'émerveiller de l'élégance des graveurs et des performeurs : son voyage est une compilation de la différence, une odyssée au pays des genres.
Dans la campagne Sicilienne du Risorgimento, le Prince de Salina avait affronté avec mélancolie l'éruption de l'histoire, la révolution venue d'ailleurs. Très tôt, Mehryl Levisse sait que vouloir être artiste signifie éprouver la nostalgie du voyage, s'acclimater au lointain. Qu'il lui faut quitter Charleville, la ville adoptive de ses ascendants, au risque de ne pas y revenir. Les hasards de sa culture le conduisent à Casablanca, qui devient inséparable de la générosité d'Hassan Darsi, un créateur auquel il doit beaucoup. Trois années passées à observer les motifs et dorures des palais arabo-musulmans, la couleur des textes enluminés surtout. L'attachement actuel à la tapisserie et aux emblèmes des minorités pourrait bien être le sédiment encore visible de cet art méditerranéen appris sur le vif.
L'expérience du voyage libère. Elle est si intense que de retour à Charleville il ouvre l'espace Balak, un lieu pour les artistes à l'image de La Source du Lion à Casablanca. Les invités à sa Nuit Blanche ardennaise s'appellent Eva & Adèle, Jean-Luc Verna et bien d'autres. De performances publiques en manifestes politiques, ils y déploient les couleurs du mouvement LGBT. L'an prochain l'invité viendra d'Alexandrie : Wael Shawky dont les marionnettes font depuis longtemps le tour de la terre.
Le voyage imaginaire est une autre forme de l'exploration. À Paris, Chantal Lachkar lui ouvre les portes de la bibliothèque du Musée des arts décoratifs où il recouvre 1624 reliures du fonds Jules Maciet de papier peint à motifs, comme un tatouage éphémère. Au XIXe siècle, l'encyclopédiste y a consigné le monde en un million de gravures, imprimés et photographies méthodiquement classés. Mehryl y dévoile son musée fantaisiste, des poupées et figures de porcelaine aux cornes d'animaux présentées sur les napperons de son enfance, un attachement au goût populaire pour lequel il fait preuve d'une érudition aussi profonde que celle de l'explorateur.
L'appartenance aux siens d'hier et d'aujourd'hui est sa vraie distinction, sa patrie ultime. A l'heure des contagions planétaires, d'étranges personnages masqués naissent sous son regard. Hommes ou femmes-oiseaux au long bec affublés du costume de guérisseur ou de sorcier, leur apparition inspire la peste faite homme, la différence absolue. D'un sexe indéterminé à une espèce peu familière, leur silhouette pourrait troubler nos certitudes, notre orthodoxie sur la nature des genres. De quelles familles nouvelles ces derniers-nés qui portent l'ambivalence de l'être sont-ils les porte-voix ?
Poursuivant son propos sur des catégories jugés comme autant d'arbitraires, Mehryl peut manier l'outrance symbolique, l'arme ultime, et avec panache. Dans le premier tournoi de Travball de l'histoire organisé par ses soins, le jeu de balle conduit à une inversion carnavalesque : sur un espace réduit tapissé au sol, le public joue,gagne ou perd sous l'arbitrage de Nomai, Veida Shiminazzo ou Cookie Kunty, des créatures du paradis des Drag Queens transformées en gardiennes de cette très sérieuse fantasmagorie.
A ce jeu de l'inversion, l'artiste s'est rendu maître. Libérés de toute action, de toute obligation de faire, d'autres personnages porteurs d'une même ambiguïté occupent les projets à venir. A la manière du mythique "Sleep" d'Andy Warhol montrant à l'écran un performeur dans son sommeil une nuit durant, leur unique préoccupation sera d'occuper l'espace toute une journée avec comme seule tentation celle d'exister. Avant que, repoussant plus loin encore les frontières du paraître, l'artiste ne s'attache à des performances sans plus d'acteurs ni spectateurs, qu'il annonce l'avènement sur la terre du peuple des arbres et des moutons.
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